Voici les compte-rendus de nos réflexions communes. Petit rappel de courtoisie : vous pouvez les utiliser à condition de citer la source, c'est-à-dire : café philosophie à Saint-Lô, cafephilo-saintlo.jimdo.com

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Café philo du 20 décembre 2017 : L'homme choisit-il sa vie ?

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L ' être humain conscient et doué de raison est censé pouvoir maîtriser ses passions, c'est-à -dire tout ce qui serait subi passivement s'il n'avait cette capacité de choix; décider de ne pas manger alors qu'il a faim pour des raisons de santé, de religion par exemple, mettre à distance un désir amoureux non voulu etc. Certes l'instinct nous pousse à satisfaire nos besoins vitaux et le fonctionnement de notre corps nous reste en grande partie inconnu, inconscient. Mais ces conditions nous laissent une liberté de choisir nos actes, de prendre des décisions.

Sommes-nous toutefois réellement maîtres de notre corps et de nos choix? Notre raison a-t-elle  ce pouvoir ou n' y-a-t-il pas une part de nous-mêmes qui nous détermine? L'environnement a un impact sur notre ADN (génotype, génétique) et cette interaction constante détermine notre comportement. Spinoza l'affirmait déjà : le corps est poussé par "l'appétit", et le désir accompagne cet "appétit", involontaire. On prend conscience de notre comportement, mais la racine en reste cachée. La liberté consiste alors à prendre conscience de ce qui nous détermine et à agir conformément à cette détermination, qui est notre "nature". Les neurosciences étudient ces déterminismes qui fonctionnent en nous. Selon Antonio Damasio ( "L'ordre étrange des choses" Odile Jacob 2017), les intestins sont aussi importants que le cerveau dans cette question de la maîtrise de notre corps, de nos sentiments. Contrairement aux ordinateurs, à l'intelligence artificielle, nous ne fonctionnons pas comme une réserve de données: nos émotions, nos sentiments, déterminent notre comportement autant que la raison, et aucun choix ne serait d'ailleurs possible par la seule raison; celle-ci doit être motivée par des émotions ou des sentiments pour s'exercer.
Nous serions donc déterminés par notre corps, l'ADN dont nous sommes faits, en perpétuelle interaction avec notre culture, qu'on s'approprie par nos apprentissages, et par laquelle nous "gérons" notre vie selon les possibilités d'agir, les variables; un peu comme des "talonnettes" qu'on utilise pour marcher. La neurologie révèle certaines fragilités neuronales par exemple, qu'il va falloir gérer au quotidien, ce qui demande un gros travail. Mais il n'est pas possible de prendre conscience de tous les aspects de nos composants; nous serions des "illuminés". Peut-on toutefois modifier consciemment notre corps, par ex. pour guérir? Oui si l'ADN n'est pas altéré.
La richesse de l'être vivant, malgré tout, dépasse la conscience que nous avons de cette question.
La nature s'organise avec ou sans nous, mais nous avons besoin d'elle pour nous enrichir.
Elle a horreur du vide. L'instinct de reproduction nous incite à entrer dans le mouvement de déploiement de la vie, qui est un mouvement de joie; plus la vie est difficile dans une société, plus, semble-t-il, les gens ont des enfants. L'être humain a une décision à prendre, à la fois selon ses émotions, ses sentiments, et sa raison. Est-il conscient de ses choix? Pour perpétrer l'existence, tout homme doit choisir une compagne, ou toute femme un compagnon. Est-ce l'émotion qui pousse à la séduction, et par quel moyen va-t-elle s'opérer? Le point de départ n'est pas raisonné mais déclenche des "mécanismes"; les émotions dépendent elles-mêmes d'éléments inconscients (souvenir refoulé, ressemblances... ) dont on peut être prisonnier. Par ailleurs, la culture pousse à s'orienter vers tel type de personnes, selon ce qu'elle admet, encourage, ou interdit, de façon variable d'une culture à l'autre.Tout est-il déterminé? Notre seule liberté est-elle de croire, ou de ne pas croire, qu'on est libre? Et pourquoi le croit-on ou ne le croit-on pas? Serions-nous déterminés aussi par notre passé, fût-il "in utero", totalement inconscient?

Certains ont la vision d'avoir un libre-arbitre, de pouvoir jouer sur leur propre corps. Il y a des événements aléatoires, contingents. D'où une responsabilité sur sa propre évolution ou sa dégradation. N'y-a-t-il pas pourtant une loi universelle régissant l'ordre des êtres et du cosmos?
Le dharma, selon un terme bouddhiste et hindouiste? Rien ne serait fait au hasard. Est-ce à dire qu'on ne pourrait jamais se remettre en question dans les choix qu'on a fait? Il faut distinguer le destin et le hasard; le destin et la destinée. On est confronté au hasard avant de faire des choix, qui se font parmi les choix possibles: destinée tracée dans le hasard. Exemple de la présence à ce café philo: tous sont venus par choix; il y a une démarche à faire pour venir. Mais certains ont pu tomber sur l'annonce par hasard, avant de décider de venir et de faire une heure de route. Cette décision avait demandé un choix entre deux ou plusieurs possibilités. Intérêt, curiosité, inconscient?      Le choix engage aussi une réflexion.

Qu'est-ce qui motive le choix entre plusieurs théories scientifiques, entre des personnes, entre des situations variables? Peut-être la beauté, l'élégance, l'harmonie; encore faut-il avoir la liberté de discerner la beauté, liberté compromise parfois par des préjugés sociaux par exemple. Nos choix ne dépendent-ils pas aussi d'un inconscient collectif (Jung) dont le mouvement nous échapperait, le libre arbitre restant alors en surface ( ex.du féminin ou du masculin)? Les techniques de prise de conscience permettent de mettre au jour cet inconscient ( l 'hypnothérapie par ex.). Chaque être humain a son interprétation variable de ce qu'il voit, de ce qu'il vit, comme chaque artiste peut interpréter différemment une partition de musique. Alors, qui a écrit la partition? Notre naissance, nos conditions de vie, notre histoire...nous font parfois ressentir que quelque chose ne va pas nous convenir, un travail proposé par exemple. Le choix se resserre. Nos choix nous ramènent toujours à la même trame, les autres possibilités étant laissées de côté. Éternel Retour de Nietzsche? Accepter pleinement ce qu'on vit comme un vrai choix réfléchi, qu'on revivrait indéfiniment s'il le fallait, une affirmation totale ( contraire à la négation de la réalité et à la fuite dans des "refuges").

Cependant nos choix ne sont-ils pas dictés aussi par la société? A petite échelle, les gens semblent vivre dans une société harmonieuse, consciente du bien commun, et sont globalement satisfaits. Mais ils ont la société qu'ils méritent: leurs comportements leur sont dictés, notamment par la consommation, la libéralisation de la sexualité etc. Que choisissent-ils réellement? "Si voter était utile,ce serait interdit" (Coluche). Ne vivons-nous pas dans une cage dorée? Mais pourquoi se débarrasserait-on de la télévision, d'Internet, des portables etc.? A quoi aspire notre nature humaine? Vivre comme un saint? On essaie par la consommation de combler un manque, craignant d'être différent des autres car nous avons besoin d'appartenir à un groupe humain. Besoin de tendresse, de réconfort, d'être compris; d'où nos efforts parfois pour nous adapter à la majorité, ce qui ne constitue pas nécessairement une perte de liberté, car il faut pouvoir discuter avec les autres, trouver des compromis.
Paradoxalement, les réseaux sociaux, la mondialisation, les moyens de communication, séparent les individus en même temps qu'ils les relient extérieurement; la société est devenue "individualiste" tandis qu'une multitude de règles compliquées veillent sur le bien-être, le bonheur, la santé de chacun. C'est ce que Tocqueville nommait un "despotisme doux" et bienveillant, qui s'oppose à toute action véritable, comprime, énerve, hébéte. ( De la démocratie en Amérique T. 2, 4ieme partie). C'est le danger de nos démocraties, qui finissent par diriger notre comportement, formater notre vie, et notre inconscient.
C'est toujours au nom de quelque chose qu'on nous conseille, nous admoneste, nous ordonne. C'est l'objet du livre récent de Charles Haquet et Bernard Lalanne: "Tyrannie du mot de passe et autres petits tracas de notre temps"( Mercure de France 2017). " Changez votre mot de passe, voyez ce film "déjà culte", profitez de votre réduction, partagez, likez...," ce qui finit par grignoter notre liberté.
Nos comportements sont irrationnels, nous imposant des limites ou des obligations souvent contradictoires ( manger un dessert hypercalorique mais courir pour être en forme...). Notre état de santé, nos conditions génétiques, les injonctions sociales...nous laissent malgré tout le choix entre diverses interprétations possibles de la vie. Se sortir de la folie, d'un moment où on a "touché le fond", pour prendre conscience de ce qu'on est vraiment, ne plus être ensuite la même personne et maîtriser davantage ses émotions, au-delà de la futilité de certaines choses, donner au monde
un autre sens sans juger, en sortant de son "ego", sont des expériences vécues dont témoignent des personnes présentes.
Ne peut-on pas ressentir le manque de ce qu'on aurait oublié, dans certaines amnésies par exemple? La mémoire, qu'on ne peut jamais avoir perdu sous toutes ses formes, joue un rôle dans nos choix. Référence à Pénélope Bagieu: "Page blanche" , dont le personnage cherche à retrouver "la" mémoire et son identité.

Nous avons conscience des autres autour de nous et nous ne pouvons vivre qu'en interaction avec ce qui nous entoure. C'est le cas de tous les vivants, notamment des arbres, qui communiquent entre eux et avec les animaux comme le montrent des études récentes. L'être humain est un être de relation. Robinson Crusoé est-il libre sur son île? Se rend-il libre dans sa tête pour accepter d'être là ?  Nous avons tous des contraintes; sont-elles incompatibles avec la possibilité de choisir? A moins que la contrainte n'oblige aussi à faire des choix. Sartre : "On n'a jamais été aussi libre que sous l'occupation allemande" car il fallait alors exercer sa faculté de choix, être résistant ou "collabo", fuir , se "planquer" etc. Au-delà de cette formule provocatrice, il faut admettre que notre société permet des choix et la réalisation de projets créatifs.
Les obstacles à la liberté ne sont-ils pas l'uniformisation, liée aux lobbies économiques, aux réglementations...et la mondialisation, par lesquelles la grande majorité des individus est soumise au pouvoir de quelques personnes? Exemple du pouvoir d'Amazon, Facebook, Google...et de la multitude des données personnelles utilisables par ex. pour l'embauche mais aussi pour connaître la vie privée des personnes (orientation sexuelle par ex.). Ce phénomène est-il vraiment nouveau? N'a-t-on pas toujours été "fliqué" par le pouvoir à des fins de manipulation? Voir l'exemple extrême d'Hitler. Mais l'utilisation possible des nouvelles technologies, de l'intelligence artificielle, à de telles manipulations n'est-elle pas plus redoutable? Mise en oeuvre déjà de l'eugénisme. Référence au livre d'A. Huxley: "Le meilleur des mondes ". N'y-a-t-il pas un risque de dictature mondiale sous cette nouvelle forme? Pourquoi la masse des individus ne peut-elle pas empêcher ces extrêmes? Se contente-t-elle de ce qu'elle a ? Ne se pose-t-elle pas de questions ? Ronronne-t-elle (voir la courbe de Gauss)? Réfléchir est devenu un luxe, presque inaccessible, pour des gens fatigués, qui se battent d'abord pour eux-mêmes, pour vivre ou survivre...

Toute innovation technique a suscité des craintes; elle est à double tranchant, à la fois positive et négative. Exemples : la recherche du confort matériel a provoqué la pollution, les vaccins peuvent avoir des effets indésirables... Moralement ni bonne, ni mauvaise, la technique peut être utilisée pour un bon ou un mauvais usage, selon la responsabilité humaine. Même la revendication de la liberté (ex.le feminisme) peut être "récupérée" par une idéologie au pouvoir, par le pouvoir financier. En être conscient permet de prendre du recul dans nos choix.

Café philo du 29 novembre 2017 : L'homme : sa finitude, l'âme, Dieu.

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Synthèse du CAFÉ PHILO du 29 novembre 20
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Le précédent café philo nous avait conduit à réfléchir sur la Vérité dont pouvait s'approcher le débat philosophique. Les questions du sens de l'existence humaine, de ses limites, de son origine, de sa finalité avaient été évoquées à ce propos, mais n'avaient pas été approfondies. C'est donc ce que se propose de faire ce nouveau débat.
Qu'appelle-t-on l'âme? Que met-on sous le mot "Dieu"? En quoi est-il lié à notre finitude?
Aucun être vivant sur terre, ni aucun humain, ne s'est donné à lui-même la vie; il est donc "créé", a un début, daté, et aura une fin. Quelle est la cause de cette "création", a-t-elle une finalité autre que la mort?

Dieu est considéré comme un "être" qui n'a ni début ni fin, hors de la temporalité -il est éternel- et n'a pas de cause extérieure à lui-même: il est sa propre cause.
L'homme est-il un fragment de cette "super conscience", un peu comme les gouttes d'eau forment la mer et évoluent avec elle? Dieu se connaît-il à travers les hommes comme les hommes se reconnaissent à travers Dieu? Il existe divers positionnements par rapport à Dieu. Selon l'animisme, Dieu est présent dans toute la nature, dont nous faisons partie. Les religions antiques projettent les dieux sur des entités extérieures ( le soleil, la mer...). Tandis que les orientaux considérent que les hommes et Dieu forment un tout, la philosophie occidentale a tendance à séparer les hommes et Dieu. La méditation est devenue "rationnelle"- au sens des règles de l'argumentation logique- dès Aristote, mais notamment avec Descartes qui fait de Dieu un "objet", un être extérieur à nous dont il est possible de "démontrer" l'existence. Voir les preuves de l'existence de Dieu. Mais Dieu est-il bien à découvrir hors de nous? Un être parmi les êtres, fût-il l'Etre suprême, soumis à nos concepts et à nos catégories logiques, est-il bien Dieu?
La spiritualité occidentale semble redécouvrir l'intériorité - pourtant présente dans les siècles précédents ( Maître Eckhart a pu être considéré comme un maître zen de l'ouest), en se tournant vers la pensée orientale. Dieu n'est pas hors de nous; rien n'est en dehors de Dieu.
Dieu peut être la totalité dont nous faisons partie, nous montrant la voie à suivre selon son intention créatrice. Certains s'étonnent, disait Marguerite Yourcenar à propos de son écriture, que je puisse être un personnage féminin ou masculin; mais tout cela est en chacun de nous. Nous semblons tous reliés, en intercommunion. La conscience universelle serait l'émanation de cette intention créatrice: faire du bien aux autres, ce que diverses circonstances peuvent faire oublier, mais ce qui peut être vécu aussi par des athées.
Le récit du jugement dernier dans l'Evangile en témoigne: les "bons" sont ceux qui ont nourri, vêtu, soigné ceux qui avaient faim, étaient nus, malades..., les "méchants" sont ceux qui ne l'ont pas fait,  car dit le Christ, à chaque fois que vous l'avez fait, et à chaque fois que vous ne l'avez pas fait à chacun de ces "petits", c'est à moi que vous l'avez fait ou que vous ne l'avez pas fait. Et ce, alors même qu'ils ne connaissaient peut-être pas le nom du Christ. Le jugement porte bien sur la bonté des actes et non d'abord sur la religion, pratiquée ou non.

Certes, une enquête scientifique récente reconnaît-elle les bienfaits de la bienveillance sur le développement personnel et le bien-être. Mais la bienveillance ne résulte-t-elle pas d'une éducation, d'un effort, d'une réflexion, loin d'être innée ou inhérente à l'homme? Il suffit de regarder par exemple le comportement des enfants -et des animaux.
Comme d'autres bienfaiteurs, Mère Térésa a exercé la "charité" au sens de l'amour du prochain. Mais elle flattait aussi son ego par ses actions qui ne seraient donc pas motivées que par la bienveillance; de plus elle était parfois assaillie par le doute.
On appelle "croyants" ceux qui pensent que Dieu existe. Mais la croyance est inséparable du doute
puisqu'elle porte sur ce qu'on ne peut pas connaître. En ce sens nous "croyons" tous que Dieu existe, ou non; ou bien nous sommes agnostiques: nous reconnaissons que nous ne pouvons pas savoir.
L'idée de Dieu ne visait-t-elle pas à faire croire qu'il fallait suivre un ensemble de règles pour aller par ex. au paradis à une époque où les hommes étaient moins civilisés, prompts à s'entretuer? Instaurant des règles de vie, les religieux ont acquis ainsi un certain pouvoir pour dominer le commun des mortels, les faire obéir, les canaliser. Dès lors, la quête spirituelle solitaire (ascèse, mysticisme, jeûne...) est facilement parasitée par les Eglises, les institutions religieuses chargées de transmettre la foi. Il est en effet très difficile de transmettre sa propre expérience; l'institution sociale permet à certains d'instrumentaliser la religion, comme on peut le faire pour la science, la philosophie, la politique...afin de renforcer leur pouvoir et leur domination sur les autres. Mais est-ce bien le fond de la question? À côté des hommes de pouvoir, il y a aussi des saints. Abuser de la crédulité pour prendre le pouvoir ne contredit pas le besoin humain de donner un sens à sa vie. Si on enlève l'idée de Dieu, quelle réponse à la question: pourquoi vit-on, pourquoi transmet-on la vie?

L'homme a besoin d'explication, peut-être aussi pour se rassurer. Très tôt les enfants posent cette question "pourquoi ?" La science répond à ce besoin d'expliquer l'évolution du monde. L'ensemble de la réalité concrète dépend d'ondes et de vibrations dont on expérimente les effets grâce à des outils, comme la physique quantique. La méthode scientifique certes suit un raisonnement rationnel, excluant la notion de "mystère". Mais la physique contemporaine reconnaît que son ignorance apparaît au fur et à mesure de ses nouvelles découvertes et que certains phénomènes se montrent "mystérieux". L'incertitude est devenue une réalité physique. Le big-bang détermine un "commencement" de l'univers; s'agit-il d'une "création"? Qu' y avait-il "avant" la création, qui est aussi le commencement du temps ? "Avant" n'a de sens qu'à l'intérieur de la notion de temps. En dehors du temps peut être conçue l'éternité. D'ailleurs, le temps a-t-il bien une existence? En chimie, toute réaction est réversible. On se heurte en physique au mur de Planck. Les horloges, calendriers etc. ne sont que des représentations du temps. La vitesse, y compris celle de la lumière comporte une relation espace/temps ( 300 000 km/seconde). Pourquoi reste-t-il impossible de dépasser cette vitesse de la lumière? Dieu est-il le maître du temps?

L'univers évolue; les écosystèmes peuvent plus ou moins se complexifier. L'Evolution n'est pas nécessairement en contradiction avec la création: l'univers a pu être créé pour évoluer. C'est ce qu'explique le philosophe, biologiste, prêtre, Teilhard de Chardin: de la matière apparaît la vie, de la vie, l'esprit qui, se développant, se dirige vers l'Esprit absolu, Dieu qui est la finalité de la création, l'alpha et l'omega.
Mais l'univers résulte-t-il bien d'une intention créatrice? N'est-il pas plutôt le produit du hasard? Nous sommes tous composés de la même matière. Qu'apporte Dieu par rapport à la "croyance" au hasard absolu? Dieu et la religion calment certaines peurs et angoisses, notamment celle de la mort; la mort, une expérience sans expérimentation puisqu'on expérimenterait la non existence. Quand bien même la mort serait-elle suivie d'une autre individuation, dans un autre corps par ex., d'autres individuations continueraient de se faire au "hasard ". Il est possible de "croire" ou non en Dieu, au hasard. Dieu ne serait donc pas omnipotent. A moins qu'il n'ait laissé à l'homme la liberté de choisir le sens de son existence, l'amour ou le refus de Dieu. Pourquoi y a-t-il plusieurs religions? Certains ont entrepris un travail de "décatholisation" pour élargir les représentations souvent trop étroites qu'impose une certaine forme de religion.

Mais considérer l'origine de l'univers, l'Evolution, la vie humaine, comme "hasardeuse" n'implique -t-il pas un énorme concours de circonstances? L'Evolution va dans le sens d'une plus grande complexification. D'où vient-elle ? Selon quel ordre s'opère-t-elle? Comment cette organisation pourrait-elle ne pas avoir de créateur (au moins un grand horloger pour cette immense mécanique qu'est l'univers, selon Voltaire) ? Quelle est cette force qui assure l'harmonie de tous ces mouvements?
Pourtant le chaos, la dysharmonie, la difformité, existent aussi, comme le montre le principe
thermodynamique. L'entropie pousse naturellement chaque être humain vers le chaos c'est à dire la mort. La destruction existe en même temps que la création. Pour évoluer l'homme doit sortir de cette paresse ou peur qui le maintiennent dans l'immobilisme.
Dans la pensée orientale, Shiva est la déesse de la destruction et certains sujets aimeraient tuer, volontairement ou au hasard, pour Shiva. S'il n'y avait pas la mort, rien ne servirait à rien: la mort sert à la vie, selon l'équilibre des choses.

Mais d'où nous posons-nous la question du sens de la vie et de la mort, de notre finitude, de nos limites? D'où vient la conscience d'un manque que nous cherchons à combler, le désir de progresser sans cesse, etc.? Des premières émotions ressenties? De la nostalgie de la plénitude qui précédait notre naissance? De plantes hallucinogènes (cf les Incas)? L'être humain ressent qu'il y a en lui plus que lui-même, qu'il ne peut se suffire à lui-même. Mémoire? Accumulation des  expériences et connaissances, inconscient collectif, héritage du passé qui a produit des Einstein, Mozart, Hitler...? Mais la conscience du temps et de la mort est proprement humaine: la recherche de plénitude présente à la vie intérieure suppose le désir de combler ce manque lié à la conscience de notre finitude. Quelque chose en nous, que nous ne voyons pas ( comme nous ne voyons pas nos propres yeux, sauf dans un miroir), nous permet d'avoir conscience de notre existence au -delà de notre ego social et culturel. Se reconnaissant comme être fini, l'homme se transcende lui-même. Mystère du "coeur" de l'homme, au sens pascalien; chacun fait l'expérience de cette profondeur: l'âme, le divin, le "souffle"- "spiritus" en latin, "pneuma" en grec, l' "esprit"-. Notre corps est "fini" lorsqu'a disparu le dernier souffle de vie, mais une autre forme de vie se poursuit, comme l'atteste le culte des morts présent dès l'origine de l'humanité; l'âme peut être cette partie de soi qui continue. Le cadavre humain n'est pas un simple déchet, dans quelque culture que ce soit.

L'expérience de notre vie intérieure ne se dit pas facilement par des mots, celle des autres ne se comprend pas facilement non plus lorsqu'on en écoute ou en lit le récit; puis, elle peut "nous retrouver", nous laisser supposer quelque chose de divin. La vérité ,chez les philosophes grecs,  était considérée comme un dévoilement - aletheia-; on ne l'approche qu'en soulevant des voiles, y compris celui du langage. Le langage métaphorique -les paraboles, les koans- permet de comprendre au-delà des mots, de dire l' "indicible" par un autre chemin que la rationalité.
La rationalité scientifique peut même apparaître comme une sorte de mythologie de notre temps, basée sur le désir de domination de la nature, de connaissances et d'efficacité technique.

Plusieurs personnes présentes font part de leur expérience de "mort approchée", ou de décor-poration par laquelle l'âme sort du corps. Il est difficile de mettre des mots sur cette expérience, témoignent-elles, mais apparaissent de nouvelles façons de concevoir la vie, le rapport au corps, la mort . Car cette expérience était accompagnée de bien-être, de légèreté, de lumière voire d'amour, de plénitude. Expériences liées à des connections cérébrales, à des processus chimiques, disent certains médecins et "matérialistes". Expérience qu'il existe plus que la matière, affirment les personnes concernées. "L'âme devient une évidence." La pensée permet d'échapper à son corps. Cette expérience est difficilement reçue, donc malheureusement peu divulguée dans notre société.
Les explications scientifiques laissent place, dans ce domaine de l'intériorité de la vie humaine, à la méditation consistant à se désencombrer, à faire le "vide" pour être présent à son "soi" profond, à  laisser venir à soi l'essentiel, le "souffle", ce qui permet d'être animé ("vous êtes le locataire de votre souffle"). Cette "attention flottante", est présente aussi dans une certaine conception de l'interprétation des rêves, faisant partie de l'âme et aidant à trouver le bon chemin. "Je médite donc je suis", pourrait-on dire, car la méditation n'est autre que l'éveil de chacun à la profondeur de sa propre vie.

Café philo du 8 novembre 2017 : Le débat philosophique permet-il la recherche de la vérité ?

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Le philosophe: celui qui aime (philo) la sagesse (sophia), et non pas celui qui pense posséder la sagesse, le "sophiste", à l'époque de Platon. Les "sophistes" maîtrisaient certes les sciences et  les techniques de leur époque ( mathématiques, physique,  astronomie, et même confection de vêtements, de ceintures etc...), mais ils s'avéraient incapables de répondre aux questions que leur posait Socrate en dialoguant avec eux. Sur quoi fondaient-ils leurs connaissances,  leurs raisonnements, leurs jugements? Savaient-ils ce que sont le bonheur, la justice, le bien...? " Connais-toi toi-même " disait Socrate; ce précepte exige de se remettre en question, de débusquer les faux savoirs, de dépasser les préjugés affluant sans cesse à notre esprit; de se débarrasser de ce qui nous encombre pour découvrir au fond de nous ce que nous sommes réellement. Tout philosophe procéde à cette remise en question, sous des formes différentes: le "que sais-je?" de Montaigne, le doute de Descartes qui ébranle tout le savoir dans la recherche d'une vérité "indubitable".
Possédant l'art du discours, la rhétorique, les sophistes étaient capables de manipuler le peuple par leurs raisonnements et se vantaient de pouvoir le persuader d'une chose un jour et du contraire le lendemain. Le philosophe doit être capable de discerner la validité d'un raisonnement: comment reconnaître un raisonnement correct et un raisonnement incorrect c'est à dire un "sophisme"? L'exercice de ce discernement par la raison appartient à la "sagesse"(sophia), qui comporte aussi une connaissance théorique (le savoir), et l'application pratique de ce savoir dans la conduite de sa vie, afin d'arriver au bonheur véritable, à l'accord avec soi-même. La sagesse comporte la notion d' "intelligence", de compréhension de l'intérieur des choses. ( Exemple du terme de "sage-femme" signifiant avoir le "sens"des femmes, et pouvant donc être utilisé pour un homme.)
La première condition pour entrer dans une recherche de la vérité, est de reconnaître qu'on ne la possède pas: "je sais que je ne sais rien" proclamait Socrate, mais ce savoir est essentiel car celui qui croit savoir ne cherche pas, n'avance pas. Le questionnement suivi d'essais de réponses, elles-mêmes remises en question, constitue la démarche philosophique: dialogue (dia-logos), ou débat; à condition que soient respectées les règles de la raison et d'une véritable argumentation: connaît-on vraiment le sens des mots utilisés, sait-on donc de quoi on parle? Le raisonnement utilisé est-il logique ou au contraire dicté par les désirs, les intérêts, voire par des associations d'idées plus ou moins inconscientes?

Car pourquoi aime-t-on la philosophie? Pour se mettre en avant, pour briller en société...? La recherche de la vérité en est-elle bien le but? Ne peut-on avoir une vie satisfaisante sans rechercher la vérité? Peut-être est-on motivé par des questions "métaphysiques", ou veut-on lire les philosophes pour comparer les gens, chercher des éclairages différents des nôtres. D'ailleurs la vérité, différente pour chacun, n'est-elle pas relative? Chercher à mieux se connaître, mais en quel sens? Non seulement psychologique mais aussi chercher le "sens" de sa vie: pourquoi sommes-nous nés, où veut-on aller...?
A quoi cela sert-il de se poser de telles questions? Pour une efficacité immédiate, à rien. Secouer les certitudes et les préjugés est même plus inquiétant et il est plus confortable de ne pas "penser". 
Mais comment alors repérer les raisonnements erronés, les idées fallacieuses qui circulent, comment ne pas se "laisser avoir" si on manque de discernement? Cf.par exemple les "vérités alternatives" ou les "faits alternatifs" proposés par des politiques mettant en doute les médias ( ex.nombre de personnes ayant assisté à un événement, à une manifestation), les "éléments de langage" etc. De pseudo arguments philosophiques permettent de faire de "l'enfumage".
L'esprit critique du philosophe le pousse à vouloir discerner la vérité du mensonge, l'argumentation rationnelle de la "communication" trompeuse.
Ne pas se poser de questions conduit à suivre les rails installés par la société, à suivre le mouvement du troupeau sans savoir ni où on va ni où on veut aller, à vivre selon les pré-jugés c'est à dire avoir des réponses toute faites à des questions qu'on ne s'est pas posées. C'est donc contraire à la liberté humaine de choix, à la liberté de la conscience.

La recherche de la vérité n'est-elle pas un postulat des philosophes? N'essaie-t-on pas plutôt de comprendre les choses, les autres, de se comprendre soi-même sans jugement de valeur? Le débat est-il la seule démarche? Peut-être faut-il comprendre la vérité de l'autre pour avancer, mais la compréhension suppose un cadre.
Deux physiciens peuvent partager des vérités même temporaires, discuter par ex.sur "la théorie des cordes". Ils ont un corpus commun. Qu' y-a-t-il de commun pour les philosophes en matière de vérité? Des théories comme celle du "complot" ne se situent plus au niveau de la raison puisque des gens, même très intelligents, ne reçoivent plus aucune argumentation critique. L'argumentation rationnelle distingue justement la démarche philosophique des discussions vagues ou des idéologies se présentant comme détentrices de la vérité. Dire ce que l'on pense d'une idée ou d'un philosophe n'a de sens que si cette pensée est fondée sur une argumentation réfléchie.
Les gens simples, ex.les bergers des montagnes, peuvent être aussi proches de la "vérité" que des philosophes, dire des choses très sages. L'interrogation philosophique ne passe pas nécessairement par des livres mais le berger peut aborder les choses autrement, par l'observation de la nature par ex., la méditation, le dialogue avec soi-même par lequel on se pose la question du sens de nos actes, de nos vies...
Une forme du savoir est liée à l'intuition, permettant de comprendre l'ordre de la nature et d'en tirer des conclusions. Exemple des aborigènes d'Australie (-50 000 ans) disposant de peu de langage et de réflexion intellectuelle mais suivant des rituels témoignant d'une approche "écologique" de la nature (incision du pénis afin de limiter les naissances).
La vérité n'est-elle pas relative à chaque culture, à chaque philosophe et même à chaque individu?
"A chacun sa vérité", est-ce un précepte satisfaisant? Les philosophes ont-ils une définition de la vérité? Michel Onfray par exemple, considère qu'il n'y a de réflexion qu' à partir de la matière. Hegel pense qu'on forge des concepts à partir des mots et que le respect de la logique assure un accès à la vérité... Le relativisme exige de faire le tour de tous les aspects, mais peut-on affirmer que tout se vaut et que chacun pense ce qu'il veut avec une égale légitimité?
La notion de vérité exige un cadre; la vérité relève du jugement: une affirmation est ou n'est pas, ou pas totalement, conforme à la réalité. Tout jugement est vrai ou faux, totalement ou partiellement, selon un cadre de rationalité déterminé. Être "rationaliste" ne signifie rien puisqu'il y a plusieurs ordres de rationalité possibles: la science est un cadre de rationalité permettant d'établir des vérités universelles, au moins temporairement; car les théories sont sans cesse "rectifiées" au cours de l'histoire des sciences. La vérité peut se rapporter à l'ordre de la nature, au cosmos, mais aussi à l'organisation du monde, de notre société, à nous -mêmes.
Peut-on se donner comme cadre de vérité qu'il n'existe que des voitures à 4 roues en France? L'expérience pourra "falsifier"cette théorie ( la rendre fausse), si on voit une voiture à 3 ou 6 roues; il faudra aussi reconsidérer la définition d'une "voiture", par rapport à d'autres véhicules.
Vouloir imposer un ordre de rationalité valable pour tous les domaines, un modèle unique, relèverait d'une pseudo-science. Ce serait le fait d'un gourou ou d'un dictateur.
Certains "philosophes" ou plutôt idéologues proclament une "vérité" qu'eux-mêmes ne mettent pas en pratique (exemple de T. Ramadan accusé de viol). Ne pas vivre en accord avec soi-même jette un soupçon sur la "vérité" qui est prônée dans nos paroles.
Le relativisme philosophique ne consiste pas à dire que tout se vaut, mais à vouloir multiplier les perspectives pour accéder à plusieurs aspects d'une réalité, sachant qu'il n'est pas possible d'avoir épuisé toutes les perspectives possibles.
La science contemporaine elle-même reconnaît l'absence de certitudes, celles-ci étant sans cesse  remises en question. Il faut, dit un physicien, "nous débarrasser de notre raison vieillissante et admettre l'incertitude comme un privilège". ("Du nouveau dans l'invisible". J.Cl.Carrière, J.Audouze,  M. Cassé, Odile Jacob 2017). La rationalité scientifique et la démarche philosophique, distinctes dans leur méthode et dans leur finalité, ne sont toutefois pas totalement cloisonnées: les avancées scientifiques posent des questions aux philosophes, et les scientifiques en arrivent à se poser des questions philosophiques. Il y a une certaine porosité entre les domaines de réflexion. Merleau-Ponty: " les découvertes philosophiques négatives " modifient la façon de penser. On ne peut plus parler du temps, par exemple, comme avant Einstein. L'idée d'une Rationalité qui engloberait toutes les rationalités possibles a été un modèle pour la philosophie; ce modèle reste inaccessible à l'esprit humain.
Même dans les domaines plus techniques comme l'agriculture, des systèmes s'affrontent: le système conventionnel par ex.(chimie de synthèse), et le système fondé sur la chimie du sol. Nul n'a le contrôle de tout; un système entre les deux ne fonctionne pas. Ne faudrait-il pas pourtant, pour avancer, établir un dialogue?

Le questionnement semble nécessaire à l'exercice de la liberté puisqu'il est la condition d'un véritable choix. Mais sommes-nous réellement libres? L'être humain a besoin de se croire libre ; la science ne démontre-t-elle pas pourtant l'existence d'un déterminisme puisqu'elle se fonde sur des lois, sur une relation nécessaire entre les causes et les effets? Tout événement est issu d'une causalité complexe et multiple.( Cf. "l'effet papillon" dont le vol se répercute insensiblement sur une multitude de phénomènes dans l'espace et dans le temps.) Où est notre liberté? Nos choix ne sont-ils pas des illusions de choix? Exemple: je suis libre de casser cette tasse mais je ne le fais pas, je ne peux pas le faire réellement. Les machines accèdent à l'intelligence artificielle; l'expérience nous fait développer certaines connexions cérébrales qui entraînent d'autres expériences... Ne sommes-nous pas tout aussi déterminés?
La connaissance du déterminisme peut justement assurer une forme de choix et de liberté: connaissant les liens cause/effet, il est possible de produire un effet en agissant sur la cause ( ex.faire de la glace à -0 degré). Du moins notre conscience nous permet-elle d'agir "en connaissance de cause"lorsque nous connaissons les déterminismes; ce que personne d'autre ne peut faire à notre place. Il reste possible d'échapper au moins partiellement à certaines déterminations sociales ou idéologiques à condition d'être conscient de leur existence. Par exemple, Nietzsche écrit des "Considérations inactuelles" voulant justement échapper à la pensée dominante de son temps.

L'idéologie du "progrès" considérait que toute avancée technique due au progrès de la science était bonne: elle améliorait le confort matériel et la qualité de la vie humaine. Le 20 ième siècle a montré les limites de cette idéologie, le "progrès"se montrant destructeur et source d'injustices s'il n'était contrôlé par les choix et la responsabilité des hommes. La science est neutre, suivant un ordre du plus simple au plus complexe; mais que veulent en faire les êtres humains ?
L'idéal du "transhumanisme" fait de la machine le modèle de l'humanité ( "l'homme augmenté" défiant toutes les limites, y compris la mort). Or la suite du "siècle des Lumières" (terreur, violences, guerres...) a montré que la rationalité scientifique et technique ne suffisait pas à assurer le bonheur de l'humanité. Il restera toujours une part d'irrationnel, d'émotionnel, de "mystère" que la science elle-même est poussée à reconnaître.
A quel moment intervient-on pour que la science ne dérive pas? C'est la question de l'éthique, qui se pose par exemple pour toutes les questions génétiques. Il faut protéger l'homme matériellement (ex.donner à des enfants à naître un milieu éducatif assurant leur bien-être), mais aussi respecter leur liberté et leur choix futur de vivre selon certaines valeurs auxquelles ils auront pu réfléchir, respecter donc la liberté de la conscience.
Qu'est-ce que la philosophie m'apporte dans ma vie, demande Luc Ferry ? Peut-être justement de ne pas laisser dicter la conduite de notre vie par les seuls déterminismes physiques ou sociaux, mais d'influer sur le choix de la société dans laquelle nous voulons vivre.
La fréquentation des anciennes théories et la réflexion, même solitaire, permet de ne pas croire que toutes les idées sont neuves; la "généalogie des idées"(Michel Onfray) montre qu'il y a une histoire de la philosophie, que notre société est aussi le produit de cette histoire.

Même si des philosophes ont rejeté la "métaphysique", ce qui vient après l'étude de la physique (la nature), selon Aristote, pour aller au-delà de cette étude, la question de notre finitude,  du sens ultime de notre vie demeure. La mort est-elle vraiment la "fin" de la vie? Ne reste-il rien de nous après notre mort ou l'âme, non matérielle, distincte du corps, ne demeure-t-elle pas, voire n 'est-elle pas immortelle ? Où est la vérité? Cette question surgit nécessairement à certains moments de notre vie et reste une préoccupation philosophique: matérialisme, transhumanisme, bouddhisme, hindouisme etc...constituent des approches d'une "vérité" qui échappe totalement au domaine scientifique: que voulons-nous considérer comme bien ou mal, que choisissons-nous comme valeur pour conduire notre existence, qu'est ce qui peut vraiment rendre l'homme heureux?

Café philo du 11 octobre 2017 : Vivons-nous réellement en démocratie ?

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Quelles actions le citoyen peut-il mener dans notre démocratie, où selon l’étymologie, le peuple (demos) se gouverne lui -même ? Le citoyen a-t-il un pouvoir à exercer dans la vie publique, concrètement en intervenant directement sur, par exemple, l’entretien des routes ou chemins, l’abattement d’arbres qui nuiraient à ses propres cultures, la propreté des villes, etc. Le vrai pouvoir exercé par le peuple pourrait se concevoir sous forme de groupes de personnes chargées de vérifier le respect de la loi, ou d’agir selon le bien commun.
Modèle des sapeurs pompiers, constitué en partie de volontaires. L’engagement de tout citoyen un jour ou l’autre permettrait à chacun de s’impliquer, de se responsabiliser et de mieux connaître la loi, de mieux savoir ce qu’est la loi. De même pourrait-on tous postuler pour être juge pendant trois ou quatre ans… S’instaurerait alors une forme d’intelligence collective évitant de laisser tous les pouvoirs aux seuls experts ou aux seuls élus, ce qui entraîne une déresponsabilisation des citoyens. N’y a-t-il pas alors le danger de la création de « milices »? Non, car ces organisations n’auraient pas leurs propres lois mais essaieraient au contraire de faire appliquer la loi, comme les associations qui veillent par exemple à l’application du droit au logement.
Pourtant il faut distinguer le pouvoir de décision et l’exécution ; tout est cadré et balisé en France par cette distinction de l’exécutif, du législatif et du judiciaire. Soit les gens se répartissent la tâche, soit quelqu’un décide de faire faire les choses : c’est le rôle de l’élu- le maire- auquel le citoyen doit donc s’adresser au lieu d’agir par lui -même. Si tous les pouvoirs sont délégués au maire, quand peut-on prendre les choses en mains en tant que citoyen ?
Le maire d’autre part n’est pas élu sur de « petites choses » comme le ramassage des crottes de chien ou le nettoyage des fossés. Qui intervient ? Chaque liberté ne doit pas porter atteinte à celle de l’autre. Sur quoi se fonder ?
Le fondement de la démocratie apparaît alors être la loi, le code civil, qu’elle est chargée de faire respecter. L’investissement de la population dans la collectivité diffère du droit d’ingérence dans la vie d’autrui. Les règles de vie démocratiques permettent de vivre en bonne intelligence. Les relations humaines entre les individus permettent d’éviter les démarches procédurières.
En démocratie, le peuple obéit à la loi qu’il s’est lui-même donnée puisqu’il a élu les législateurs- directement : les députés, ou indirectement, les sénateurs. Le Sénat, élu par les « grands électeurs », est-il démocratique ? Sans doute ralentit-il la démocratie, mais il assure toutefois le filtrage et le recentrage des lois. Les lois ne sont qu’indirectement votées par le peuple puisqu’elles le sont par les « représentants » du peuple, les élus. Le référendum est-il plus démocratique ? Proposé par le Président de la République, il risque de se transformer en plébiscite ou en rejet du Président. Référence à Charles de Gaulle. L’exemple est pris du refus par le peuple de supprimer le Sénat. Mais refuser le résultat d’un référendum apparaît comme non démocratique (exemple du référendum sur la constitution européenne).
C’est l’élection par le peuple qui donne le pouvoir. Le vote devient-il alors l’essentiel de l’action du citoyen en démocratie, le pouvoir étant ensuite délégué aux élus ? Le vote est un droit offert en démocratie (et non dans les dictatures); mais c’est aussi un choix de l’utiliser ou non, car il n’est pas obligatoire en France (ne pas voter n’est pas puni). Le refus de voter peut être aussi un engagement citoyen, même si ce refus est parfois pointé du doigt. Le tirage au sort pourrait également être un mode démocratique qui fonctionne dans de petits pays. En France, le vote suppose une liberté d’expression et de choix qui précède l’élection. Que fait le citoyen si aucun choix ne lui convient ? Question de la prise en compte des votes blancs. Toujours en construction, la démocratie reste « la moins mauvaise des solutions ».(Churchill).
Le citoyen n’a-t-il plus de moyens d’expression, de résistance ou d’amendement, une fois l’élection finie ? La « minorité » et ceux qui n’ont pas voté n’ont-ils plus rien à dire ?
Problème de Condorcet : il n’est pas sûr que la personne non élue ne soit pas la moins aimée.
Notre vie politique fonctionne démocratiquement, mais selon notre constitution et nos lois électorales ; d’autres constitutions sont possibles, comme en Allemagne où l’élection du chancelier est suivie de la mise en place d’une coalition, tenant compte des autres partis politiques.
Le pouvoir doit être uni pour être efficace, et n’avoir qu’un seul responsable, un chef. Exemples de Napoléon, et d’Hitler qui avait été élu de façon démocratique, à moins de 50 % toutefois. « Mein Kampf » annonçait le drame. Le pouvoir a besoin de garde-fous.
Que faire lorsque les élus ne "représentent" pas le peuple, parce qu’aucun candidat ne le satisfaisait réellement, au point que beaucoup n’ont même pas voté? Le choix donné n’est pas un choix voulu, d’où une crise de la "représentation”. Risque alors d’anarchie, au sens de désordre; à moins qu’un roi , comme en Belgique, ne maintienne la cohésion.
Le pouvoir héréditaire est-il antidémocratique? Les monarchies constitutionnelles européennes sont bien des démocraties. Le roi règne mais ne gouverne pas. Le premier ministre est élu par le peuple. L’hérédité du pouvoir ne signifie pas nécessairement un souverain "de droit divin" au sens d’absence de laïcité. Le Président des États-Unis, élu par le peuple, jure tout de même sur la Bible lors de son investiture. Contrairement au pouvoir monarchique, le pouvoir républicain n’est donné que par l’élection et donc le "choix" du peuple. Comme une monarchie, une république peut être ou non démocratique, selon que l’exercice du pouvoir représente ou non le choix du peuple ou du moins de sa majorité.
La constitution française sépare l’Église et l’État. Le Président ne se réfère ni à Dieu ni à la morale religieuse. Sur quoi se fonde donc notre "morale républicaine", sur quelles valeurs les citoyens se fondent-ils pour agir ? Selon Jean-Marie Domenach, il s’agit de la vérité, de la liberté, et du courage, car on ne peut concevoir une morale sans action. Notre devise comporte ces trois valeurs : liberté, égalité, fraternité. La non-assistance à personne en danger, par exemple, est punie par la loi en France, ce qui n’est pas le cas aux USA. L’éducation civique à l’école, et l’éducation parentale assurent la connaissance et la transmission de ces valeurs républicaines et démocratiques.
Toutefois, notre démocratie est -elle devenue tellement complexe que le citoyen moyen s’en éloigne, car il ne peut pas tout connaître? La politique serait-elle réservée aux experts? La complexité de la constitution et des textes de loi les rendent-ils inintelligibles (exemples du texte proposé pour le référendum sur la constitution européenne, complexité du code civil, du code du travail…) ? Exigence de simplification; mais simplifier risque de créer un appauvrissement, de ne plus prendre en compte la diversité des situations possibles, de faire perdre des droits. La simplification doit répondre à l’exigence d’universalité de la loi. Faut-il de « la parcimonie dans les textes" comme le préconisait François Mitterrand ?
À moins que la complexité des textes ne vise à masquer des contre-vérités, à cadrer et à canaliser le peuple en rendant les choses incompréhensibles ?
Les citoyens ont le droit de s’exprimer, de manifester dans la rue. Pourtant dit-on, « ce n’est pas la rue qui gouverne ». S’exprimer dans la rue ne serait-il pas démocratique ? Dans l’Antiquité grecque, le débat démocratique se situait sur l’Agora, la place publique.
Mais une manifestation dans la rue entrave la liberté de circulation, rend par exemple, l’automobiliste « minoritaire ». Cette gêne occasionnée n “est-elle pas justement un moyen d’action exercé sur le pouvoir établi pour supprimer ou modifier un projet de loi (exemples du pouvoir des étudiants dans la rue faisant renoncer au projet de D. de Villepin, ou des récentes discussions place de la République à Paris)?
Le pouvoir réglemente malgré tout les manifestations, puisqu’elles ne peuvent pas avoir lieu sans autorisation. Limitation du pouvoir du peuple ? Exigence de ne se référer qu’au pouvoir des élus, auxquels il faudrait exclusivement s’adresser ? L’exigence de sécurité n’est-elle pas aussi l’occasion de limiter le pouvoir du peuple (ex. L’état d’urgence face au terrorisme)?
La manifestation du peuple dans la rue, outrepassant les interdits, relève plus d’une action de type révolutionnaire, visant à bloquer un système ou à renverser un pouvoir contesté, que d’une expression démocratique. N’est-elle pas parfois nécessaire pourtant pour maintenir la démocratie, en assurer une sorte d’autorégulation ?

Café philo du 26 avril 2017 : l'amour

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Synthèse du CAFÉ PHILO du 26 avril 2017.
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Il y a différentes formes d'amour, et la notion d'"amour" revêt des sens divers voire contradictoires.
Référence au "Banquet" de Platon, dialogue dont le thème est l'amour. L'Amour n'est-il pas un dieu, le plus beau, le plus vénéré, le plus parfait? Non car l'amour, Eros, désire ce qu'il n'a pas, puisqu'on ne peut désirer que ce que l'on n'a pas; il vient donc d'un manque. Mais on ne désire pas non plus ce dont on n'a aucune idée, aucune connaissance; il suppose donc une certaine richesse. Eros  est fils de Penia, la pauvreté, l'indigence, et de Poros, la ressource, l'abondance. L'amour se situe entre le manque et la possession, il est la recherche de ce qui est désiré. Or, qu'est-ce que la philosophie? "Philo" signifie ce qui aime, ce qui est attiré par quelque chose ou quelqu'un, et "sophia" signifie la sagesse, le discernement exercé par la raison de ce qui est vrai, bien ou beau, la connaissance. L'amour, Eros, désire la sagesse; il ne la "possède" pas,  contrairement à ce que pensaient les sophistes, se croyant détenteurs de cette sagesse. Celui qui croit posséder la Vérité absolue n'est pas un philosophe, mais il est dans l'illusion du savoir. D'ou la démarche du questionnement et de "l'accouchement des esprits".

Le moteur de l'amour est le désir, tendant à s'approcher de l'"objet" aimé, jamais totalement assouvi pourtant car la perfection n'est pas accessible.
L'amour peut être filial, paternel, patriotique; amour de l'art etc. Il inclut aussi bien sûr le désir sexuel. Est-il toujours bon, source de bonheur? Ou peut-il être néfaste? Faut-il alors le limiter? Ne peut-on pas "trop aimer"?
La relation affective à autrui, les échanges sont indispensables à la construction de soi. Exemple des orphelinats en Union Soviétique où des enfants ont dépéri faute de soins dépassant la satisfaction des besoins physiologiques. N'est-ce pas par l'amour que l'humanité se perpétue de générations en générations? La création passe par l'amour. S'agit-il d'affection, de sentiments, de tendances qui nous poussent parfois malgré nous?

L'amour-passion, passif, subi, apparaît destructeur. Destructeur de l'"objet" aimé et du sujet aimant, comme en témoignent par exemple les tragédies grecques ou les issues dramatiques de telles relations amoureuses (Roméo et Juliette)."Un seul être vous manque et tout est dépeuplé", écrit Lamartine. Le monde du passionné se limite alors à sa relation exclusive avec l'autre, personne ou objet (l'avare, le joueur, le collectionneur...). Le passionné accapare son "objet" et le dévore comme on détruit ce qu'on aime en le mangeant, en se l'assimilant. Exemple : un asiatique voulait manger sa fiancée pour se l'assimiler.
Cet amour submerge la raison, restreint la liberté en la bloquant sur un "objet" exclusif et limité. Selon Malebranche, seul un "objet" infini -Dieu- est digne de cet élan infini qu'est l'amour. L ' amour de Dieu, en effet, même exclusif, englobe l'amour de la création, de la nature, de l' humanité et ne restreint donc pas la liberté. L'amour-passion fixé sur un seul "objet" intercepte et détourne cet élan infini, le rendant dévorant et destructeur. La passion d'un peintre, par ex.,ou d'un collectionneur, peut le pousser à négliger son entourage, sa famille, ses propres conditions de vie... L'amour de Dieu au contraire est épanouissant et garde un horizon infini.

Épanouissement ou plutôt sacrifice? Consacrer toute sa vie à Dieu n'est-ce pas un renoncement, une perte de soi? Ayant effectué ce choix librement,  les religieux semblent épanouis. Notion de "vocation": ces religieux disent répondre à un appel de Dieu, vécu comme une grâce, un bienfait, qui éclairent leur vie. Certaines religieuses se considèrent "mariées" avec Jésus Christ, vivant donc  une relation forte et porteuse avec Dieu. Seul l'amour de Dieu peut atteindre une totale plénitude, disait soeur Emmanuelle, car son objet est infini. "Là où est l'amour, là aussi est Dieu". L'amour de Dieu est relié à l'amour du prochain dans la religion judéo-chrétienne, comme l'indique le récit du Jugement dernier dans l'Apocalypse: les "bons" sont ceux qui ont donné à manger, à boire etc. à ceux qui en avaient besoin. "A chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces "petits" c'est à moi que
vous l'avez fait"dit Dieu; "à chaque fois que vous ne l'avez pas fait, c'est à moi que vous ne l'avez pas fait ", est-il dit aux "méchants". L'essentiel est donc bien l'amour -la "caritas", la "charité"- et non pas d'abord l'appartenance, ni même la pratique religieuse. C'est un amour "désintéressé", qui n'attend pas de retour, n'a pas de contre partie égoïste.
Le don de soi, donner aux autres ce dont ils manquent, donner du temps etc. c'est participer à l'amour de Dieu, à la création divine. Le "par-don", donne par delà le mal, refuse la haine et le ressentiment conduisant à la violence. Ne pas répondre à la haine par la haine.
D'autres religions, comme le bouddhisme, font de l'amour l'épanouissement de la vie. Les amérindiens, en symbiose avec la nature, y trouvent leur épanouissement. L'amour de Dieu, de la nature, du prochain...ne sont pourtant pas des possessions définitives, des acquisitions, des certitudes établies. Il n'exclut pas le doute, les "ténèbres", la séduction du mal, les tendances égoïstes etc., comme en témoigne par exemple sainte Thérèse de Lisieux, malade, ne sachant plus en quoi elle croyait, mais persistant dans sa volonté de vivre dans l'amour de Dieu et des autres, notamment les athées.

"Aimer son prochain comme soi-même" suppose qu'on s'aime d'abord soi-même. Qu' est-ce que s'aimer soi-même? Se pardonner peut-être à soi-même ses difficultés, ses faiblesses. S'aime-t-on  vraiment lorsqu'on est replié sur soi, étouffé, limité à ses intérêts particuliers, égoïstes? L'individualisme n'est-il pas en contradiction avec l'amour? L'amour suppose le respect de l'autre, la reconnaissance de son altérité. L'amour fusionnel ne peut être épanouissant car le monde se referme sur ces deux personnes "fusionnées". Une mère trop possessive nuit à la liberté et à l'épanouissement de sa fille, par exemple.
Référence à la pyramide de Maslow qui indique les besoins fondamentaux de l'homme, depuis les besoins physiologiques jusqu'au besoin de reconnaissance de l'autre.
Le suicide vient-il d'un manque de reconnaissance, d'amour des autres? Certains pourtant se suicident bien qu'ils soient entourés de proches, d'amis. Eux-mêmes ne s'aiment-ils plus, n'ont-ils plus aucune attirance, même pour un "refuge", dans la boisson par ex.?

L'amour-don de soi (oblatif) fait passer le bien de l'autre avant le nôtre, il se réjouit de ce bien; d'où son caractère épanouissant. Il relève du sentiment mais aussi de la volonté.
L'attirance ou la pulsion ne sont pas du même ordre. Pulsion ou addiction? La dépendance à l'autre, personne, objet, animal, la carence affective, ferment et détruisent la liberté, au contraire de la vie qui se renouvelle et recrée.

Référence à notre société individualiste où des personnes ne vivent que pour elles-mêmes, indifférentes voire prêtes à détruire quelqu'un qu'elles ne connaissent même pas ( voir les réseaux sociaux...). N' y-a-t-il pas toutefois une empathie, une solidarité prête à se manifester quand la situation l'exige? La violence, l'agressivité, les heurts (lors de matchs par ex.), ne sont pas positivement valorisés, même s'ils sont banalisés dans les médias. On s'efforce de soigner les malades, la torture, la peine de mort sont supprimées en France... N'est-ce pas plutôt la peur qui fait souvent obstacle à l'amour? Certes y-a-t-il des guerres, de la haine, attisées sans doute par quelques individus ou hommes politiques, mais il y a aussi des révoltes contre l'injustice.

Pourquoi parfois le rejet, voire la haine des étrangers? Référence au film "De l'autre côté de l'espoir", où un étranger syrien, arrivé dans un pays, est confronté à la violence: on cherche à le tuer alors qu'il ne fait que chercher du travail. Cette utilisation des étrangers pour faire peur était déjà présente chez les Romains. S'il est normal d'être parfois prudent, voire méfiant, il n'est pas normal d'éprouver cette haine. Manipulation politique? Jalousie? N'est-il pas aberrant de refuser de donner à un homme parce qu'il est étranger? Pourquoi ne pas l'accueillir, se rejouir même de son mieux-être? Peut-être parce qu'on est soi-même privé de l'aide des autres ou de l'Etat? On oppose les problèmes pour opposer les gens. Ne faudrait-il pas chercher à traiter en même temps ces problèmes, mettre en avant le soin de l'autre?
Aimer c'est partager. Mais on ne peut donner ce qu'on n'a pas, ou ce qu'on n'a pas reçu. C'est aussi la question de la transmission, de l'éducation reçue. Faut-il avoir reçu de l'amour pour aimer? Pourquoi donner de l'amour aux autres si l'on n'est pas aimé soi-même? Question de la résilience.
L'amour des autres suppose un dépassement de sa propre satisfaction personnelle pour les "servir" au lieu de ne servir que soi-même, un renoncement au bien individuel, une forme d'abnégation.
L'amour, la passion, sont sources de création- elles mobilisent toute l'énergie et les ressources d'une personne- mais aussi de destruction, l'amour "captatif" étant destructeur. Un homme passionné par un travail qui donnait sens à sa vie se trouve démuni à l'âge de la retraite. Absence de travail ou absence aussi de lien social?

Évocation de l'"amour" sur internet et de cette nouvelle modalité de rencontre. L' amour est-il choisi ou bien "nous tombe-t-il dessus"? N'est-il pas toujours inattendu? Ne faut-il pas toutefois être prêt à aimer?
Aimer est un besoin. Une carence affective nécessite de combler ce vide. Le désir de séduction, lié à un pouvoir d'attraction, à une "attirance", n'est pas nécessairement valorisé. Les autres nous aident aussi dans notre  apprentissage de l'amour, dans une forme d'interaction, inhérente à notre nature humaine; l'amour, et même l'attachement à une personne, exigent qu'existe, au moins parfois, une réciprocité. Il est épanouissant, donne sens à notre vie, mais ne doit pas toutefois échapper totalement à notre volonté: entièrement soumis aux tendances et pulsions, il détruit notre liberté et celle des autres.

Café philo du 29 mars 2017 : quelles valeurs transmettre ?

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  Que signifie "transmettre" et qu'est-ce que cela implique? De quelles "valeurs" parle-t-on? Car il y a plusieurs sens possibles. S' agit-il de la moralité? d'idées, d'expériences, de comportements à suivre...?
Témoignages d'enfants, devenus grands, sur ce qui leur avait été transmis par leur éducation: le sens de la famille, de la fraternité; l'amour, l'empathie, la bienveillance, la générosité, l'équité, le respect, la loyauté, le pacifisme, pour ce qui est de la relation aux autres. L'autodiscipline, la détermination, l'organisation, la curiosité, la réflexion, la cohérence, la sincérité, l'honnêteté, le courage, l'ordre, l'élégance physique et morale...
S'agit-il de valeurs? de qualités? N'est-ce pas "très beau" en théorie mais difficile à mettre en oeuvre, voire à concilier? Le désir d'une telle transmission dans les familles est-il universel, c'est à dire valable pour toute culture et toute époque, visant objectivement une sorte de "perfection"? S'agit-il de choses "évidentes"? Ne s'agit-il pas plutôt de jugements, d'appréciations subjectives ou variables selon les cultures?
Peut-être est-il préférable de transmettre le libre-arbitre, afin que chacun choisisse ses "valeurs" en fonction de son propre jugement. Car les valeurs nécessaires pour le "vivre ensemble" suffisent-elles à "réussir sa vie", à lui donner un sens, lorsqu'on est confronté, par exemple, à la "jungle" du milieu professionnel; qu'en est-il alors de la générosité, pourtant valorisée?
L'acquisition des valeurs-et leur transmission- passent par l'expérience vécue; exemple: un enfant fera l'expérience de "torturer" les animaux avant de prendre conscience de la portée de cet acte. Les mots ne suffisent pas.
La transmission se fait aussi de manière "inconsciente" par la façon d'être des parents, leurs réactions, leurs comportements presque instinctifs, spontanés. Mais les enfants adopteront-ils la même conduite, fût-elle exemplaire? N'agiront-ils pas plutôt en fonction de leur personnalité, de ce qu'ils ont au fond d'eux-mêmes, de leur liberté et de leurs rencontres? Les valeurs adoptées ne sont pas uniquement conformes à l'éducation reçue: les enfants de milieu pauvre des romans de Dickens par exemple, acquièrent d'autres valeurs.
D'ailleurs, ces valeurs sont-elles bien universelles? Certaines varient selon le temps et le lieu géographique, ou existent en fonction de certains groupes: ex. les valeurs républicaines, ou même des codes d'honneur dans les milieux mafieux... Elles s'adaptent aux situations; exemple sauver sa peau en temps de famine...
Toutes les familles ne prônent pas les mêmes valeurs: "être toujours le meilleur partout" peut apparaître comme une exigence, mais peut paraître aussi contestable...
Qu'en est-il de la valeur fondamentale donnée au travail par les familles et par la société en période de fort chômage? Faudrait-il donc dévaloriser les personnes qui ne travaillent pas?

L'Antiquité grecque réservait le travail manuel et matériellement productif aux esclaves car il n'était pas aussi noble que les activités de l'esprit. Notre société valorisant le travail déplore pourtant le "burn-out" auquel il peut conduire. Dans ce cas reste-t-il une valeur? Forcer les enfants à un travail intensif -exemple du stakhanovisme- ne leur donnera pas le goût du travail. Imposer des valeurs à suivre manifeste une forme de totalitarisme.

Car les valeurs ne sont pas rigides ni figées mais sont réactualisées par ceux qui les mettent en oeuvre; d'où le risque parfois de les détourner ou de se faire abuser (-exemple de la générosité amenant à réclamer de l'argent aux autres pour le donner à une personne peu scrupuleuse-).

La famille est-elle vraiment le lieu privilégié de l'éducation? Peut-on transmettre ce qu'on n'a pas reçu? L'école ne permet-elle pas justement de compléter l'éducation éventuellement défaillante dans les familles -parents stressés, hyperactifs par ex-? L'exemple est pris de la morale qui était affichée au tableau et qui faisait réfléchir les élèves (ne pas mentir, ne pas voler...), transmettant  aussi les "valeurs de la République". L'école transmettrait ce que les autres institutions: familles,
religion, armée...ne transmettraient plus ou transmettraient moins. Un enfant qui n'apprend pas à partager les valeurs reconnues dans le cadre social, risque d'en être exclu. L'école s'efforce de transmettre les valeurs du "vivre ensemble" (respect de soi et des autres, y compris sur le plan vestimentaire ou du comportement, de l'apparence donnée...), mais aussi le goût de l'effort, qui suppose d'abord une capacité de concentration.

L'autorité est-elle nécessaire pour transmettre des valeurs? Exemple de l'enfant-roi capricieux, déjà évoqué par Françoise Dolto, qu'il faut "cadrer". Quelle est la valeur de ce "cadrage"? Apprendre aux enfants qu'ils ont une liberté dans les limites de leur statut d'enfants: certaines activités, certains lieux leur sont interdits. Mais l'interdiction est-elle bénéfique, n'empêche-t-elle pas de prendre conscience de certaines choses?

La vie, la transmission de la vie, sont-elles des valeurs? Ou bien un fait, une nécessité biologique (on n'a pas choisi de naître) ? La notion de "valeur" implique un jugement, une appréciation: ce qui "vaut" est ce qui "a du prix". La vie "vaut la peine" d'être vécue: se nourrir, se loger, vivre sainement, pouvoir la transmettre, ont été considérés comme des valeurs. La stérilité a même pu être considérée comme une "malédiction". La morale interdit de tuer; et pourtant les hommes s'entretuent, se massacrent. Une valeur n'est une valeur que s'il y a son contraire."Sans la peur du diable, pas besoin de Dieu". Umberto Ecco.
La paix est une valeur mais, sans la menace de la guerre, elle n'est pas appréciée, elle semble aller de soi, on n'y pense pas. La "valeur de la valeur" doit être reconnue. Georges Soros, qui a connu les camps de concentration, proclame: "les jeunes générations ne savent pas le prix de la liberté parce qu'elle est gratuite".

Le vocabulaire de la "valeur" est commun à l'économie, à la morale, à la religion. Le verbe latin "credere" renvoie au "crédit" qui est fait aux autres, à la confiance, à la "dette" -ce qu'on doit, de l'ordre donc du "devoir"-, à la foi: "credo". Le mal doit être "racheté", ce qui est de l'ordre de la "rédemption"( si Dieu leur fait crédit, les hommes peuvent lui faire confiance). Le consumérisme et l'individualisme ont privilégié le sens économique dans notre société.
Les valeurs se construisent, s'élaborent, changent. La valeur "famille" a évolué, la notion du respect de l'enfant, considéré comme personne à part entière, n'a pas toujours existé...

La transmission peut se heurter à des éléments culturels. Exemple de Jean- Marie Domenach témoignant d'une expérience vécue au Japon: quelqu' un est en train de se noyer dans la mer; personne ne va le sauver. Très surpris, les deux amis finissent par y aller. En fait, traditionnellement, sauver quelqu'un de la mort impliquait qu'on s'engagerait ensuite à le prendre en charge, ce qui était devenu impossible ( logements trop petits etc.).
Pourquoi Rousseau, ayant pourtant réfléchi sur l'éducation, abandonna-t-il ses propres enfants?

Les valeurs doivent sans cesse être réappropriées, réactualisées, réinterprétées par chacun. Paul Ricoeur utilise l'image d'un train en marche: pour un passager, l'horizon au loin, semble plus stable et immobile, tandis que le talus défile très vite. Pour les plus dogmatiques, les valeurs semblent un horizon immuable, tandis que pour d'autres à l'inverse, elles sont passagères et ne "valent" qu'en fonction de nos intérêts du moment, voire ne "valent" rien (nihilisme).

La philosophie pose la question du fondement ou de l'origine -donc de la valeur- de nos valeurs, en particulier de nos valeurs morales, le bien et le mal - c'est la réflexion "éthique". L'axiologie étudie différentes sortes de valeurs, d'où une "philosophie des valeurs". La notion de "valeur" est particulière car elle combine à la fois la subjectivité ( elle est vécue par chacun), et l'objectivité, car le jugement que fait la raison dépasse chaque individu (on ne se donne pas une valeur tout seul).

La transmission se fait par la relation qui s'établit entre les personnes, et non par un seul acte d'autorité, ni par de simples paroles. Exemple des professeurs dont l'impact sur les élèves vient de
leur personnalité, de leur convictions personnelles: il est impossible de transmettre si "on n' y croit pas soi-même".
Référence à la Lettre aux instituteurs de Jules Ferry: l'enseignement des valeurs exige d'abord qu'elles soient pratiquées dans la classe: ex. le respect de l'autre, l'égalité, la fraternité... doivent y être vécues. La morale des philosophes, la morale religieuse, la morale républicaine étaient semblables quant aux valeurs à s'approprier. La diversité des cultures d'origine est plus complexe dans notre société.
L'exemple est pris d'une discussion sur le racisme, en classe primaire: un consensus s'établit sur le fait qu'il n'est pas possible d'être raciste pour "vivre ensemble". Mais finalement, ne peut-on pas l'être "un tout petit peu?" dit un élève. En fait lutter contre le racisme n'est pas si facile. Les valeurs semblent constituer un idéal en devenir, à construire ensemble, entre les convictions durables d'une société historiquement située, et les réévaluations qu'exigent les changements d'époque.
Des enquêtes récentes présentent le système éducatif français comme accentuant les inégalités sociales, favorisant à la fois le meilleur de l'élite et le pire. La valeur de l'"égalité" n'est-elle plus reconnue, ou n'est-elle plus transmise? S'agit-il d'un manque de confiance en nos valeurs? Les subordonne-t-on  à d'autres intérêts?

Même question pour la valeur de la "vérité ". Notion de "vérité alternative", plus arrangeante. L'exemple est pris de la campagne électorale actuelle, où finalement, les valeurs morales arrivent au premier plan pour juger des actes politiques (sinon de la personne des hommes politiques; qu'aurions-nous fait à leur place?). Ces actes relèvent pour certains de la malhonnêteté, du mensonge, ou de la trahison, du manque de respect de la parole donnée, d'un engagement pris... La vie politique exige-t-elle des manquements à la morale, comme le pense Machiavel, puisque les hommes sont "bêtes" et "méchants", incapables d'agir selon la raison et le bien commun, s'ils n'y sont pas contraints par la ruse et la force, voire la violence? Mais alors il faudrait renoncer à la démocratie, fondée sur la capacité du peuple à se gouverner lui-même, à partager des biens communs, des valeurs communes. Boutade: le problème n'est pas que les hommes politiques mentent, c'est que personne ne les croient plus. Il y aura un retour à la morale, avait dit Jean-Marie Domenach, quand la société sera confrontée à la violence, au terrorisme...

Sommes-nous face à une crise de la transmission, ou à un trop plein de transmission? Quoi qu'il en soit, les valeurs à transmettre sont celles de l'exercice de la raison, du discernement, permettant un choix éclairé du sens de nos actions, de nos réactions aussi, conformément au "bien commun" et au maintien du lien social.

Café philo du 8 mars 2017 :  La mort

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Sujet plus ou moins tabou dans notre société: presque omniprésente dans les médias et banalisée,  la mort est pourtant occultée lorsqu'il s'agit de la mort individuelle et de sa signification. Mort physique, ancéphalogramme plat, autre côté de la vie, qui ne concerne que le vivant. Comment donc est-elle vécue?

Référence est faite au suicide de Sénéque, philosophe stoïcien à l'époque de Néron, qui lui a donné l'ordre de se suicider; Sénéque s'ouvre les veines, accompagné de sa femme. Acceptation troublante de la mort? Car cette mort n'est pas vraiment subie. Elle est acceptée et même voulue selon le précepte stoïcien: "vouloir ce qui arrive" c'est-à -dire le destin, logique (le logos) et donc incontournable. Ne pas le vouloir ne peut l'empêcher d'arriver, mais ce refus nous en rend esclaves et nous rend malheureux puisque nous ne voulons pas " ce qui arrive ". Le bonheur consiste à "coopérer avec le destin", à être en accord avec "ce qui arrive ", conformément à ce "logos" qui guide l'univers. Délimiter l'instant présent, le vivre pleinement afin d'en rester le "maître", assurent la liberté et la sérénité selon le stoïcisme. Le "carpe diem"-saisir l'instant-des Épicuriens assure aussi cette liberté, bien que dans une tout autre perspective: celle du "plaisir" comme absence de douleur, de trouble de l'âme.
Vivant dans la maîtrise du présent, les stoïciens ne se préoccupent guère de ce qui se passe après la mort. Peu importe la durée de la vie, la longueur du rôle que nous avons à jouer, l'essentiel étant de l'avoir bien joué. Vouloir mourir est un choix acceptable lorsque le destin nous met dans l'impossibilité de continuer à vivre selon notre nature: un athlète, par exemple, dont les jambes viennent d'être broyées par un char, peut préfèrer mourir plutôt que de survivre amputé, car il ne pourrait plus alors poursuivre sa vie d'athlète. Plus proche de notre époque, l'écrivain Montherlant a préféré se suicider plutôt que de continuer à vivre sans pouvoir écrire, à la suite d'une maladie qui atteignait ses mains et ses yeux.
Cette acceptation de la mort différe de celle des chrétiens par exemple, pour qui la mort est un passage vers la vie éternelle, car la mort "n'a pas le dernier mot". (voir la notion de "résurrection"). Dans d'autres sociétés, des valeurs -un code d'honneur pour un Samouraï par exemple- peut obliger à mourir dans certaines conditions (hara-kiri). S'agit-il d'un choix? Une acceptation certainement.

Le désir de vivre, le libre arbitre, l'individualisme n'étaient-ils pas moins évidents à des époques où la mort était plus présente à l'esprit de chacun: guerres, épidémies, fragilité de la vie humaine dès l'enfance? La conscience de soi comme vie individuelle semble moins développée dans les sociétés orientales (Chine par ex.); malgré la mort individuelle, la société continue et la portée de cette mort est allégée.
La mort peut aussi être source de réjouissances et de fêtes pour d'autres sociétés, en Afrique notamment.
La mort semble davantage cachée dans notre société occidentale où on pratique la politique de l'autruche, où on l'explique peu aux enfants, ou l'on meurt à l'hôpital... Notre esprit est sans cesse occupé par les multiples tâches de la vie quotidienne ("divertissement"), qui détournent la pensée de la question de la finitude et de la finalité de la vie, de l'inquiétude "métaphysique", de la peur voire de l'angoisse. Peut-être se préserve-t-on ainsi du traumatisme des massacres du vingtième siècle; dans notre société coupée de la nature, la mort est davantage fantasmée (séries de télévision exutoires, par ex.).
La mort-le fait que toute vie s'achemine vers sa fin-est bien au centre de la pensée philosophique, métaphysique, religieuse, puisque cette limitation de la vie est décisive pour sa compréhension et conduit à l'apprécier dans sa brièveté.
Platon: "philosopher c'est apprendre à mourir", car l'âme, immortelle, doit s'exercer à dépasser les limites de l'espace et du temps que lui impose le corps mortel, matériel. Libérée de la "prison du corps", l'âme continuera à philosopher dans le monde des Idées si l'exercice de la raison l'a
habituée à sortir de ces limites. La mort est donc vécue comme une libération; elle est considérée comme un bien.
Qu'en est-t-il pour les philosophies selon lesquelles il n'y a rien après la mort? C'est le cas pour Epicure, ce matérialiste de l'Antiquité grecque: la mort est la désagrégation de l'assemblage d'atomes qui nous constituait. Après la mort nous ne sommes donc plus rien, nous n'avons plus aucune sensation. La mort ne nous concerne donc pas car, si nous sommes vivants, elle n'est pas là, et si nous sommes morts, nous ne sommes plus là. Inutile donc d'en avoir peur; cette peur trouble l'âme et empêche d'accéder au "plaisir" entendu comme absence de douleur et sérénité (ataraxie), finalité de la vie.

Certains, pourtant, font l'expérience de communiquer avec les morts, de parler à des esprits, grâce aux médiums ( voir "l'arbre de vie"). Le médium se fait l'intermédiaire par lequel le défunt-représenté par une photo- transmet un message ("canalisation") permettant à la personne vivante de progresser sur son chemin de vie. Charlatanisme destiné à gagner de l'argent? Hystérie collective troublant les esprits en proie alors à des hallucinations? Croyances dangereuses inacceptables pour un esprit "rationaliste"? Comparaison avec la croyance en certains "miracles". Ex . Jeanne d'Arc: la schizophrénie peut conduire à entendre des voix... Pourtant, peut-on se contenter de jugements parfois hâtifs?
Certes est-il nécessaire d'exercer un esprit critique face à ces expériences. Mais la raison doit-elle se réduire à la raison scientifique? Ne peut-elle penser au-delà de ce qui est scientifiquement démontrable? Descartes, rationnel,-"cartésien"-maintient la dualité de l'âme, immatérielle, et du corps, matériel, bien que ces deux "substances" distinctes soient unies dans la vie humaine. Cette réflexion dépasse bien sûr le point de vue médical et met en jeu ce qu'est l' "essence" de l'homme et donc la signification de sa mort physique.

Selon les bouddhistes, la mort n'est pas quelque chose d' immédiat mais une lente décomposition. Que reste-t-il de la conscience au fur et à mesure de ce processus? Par respect pour la personne, un délai de 7 heures doit être respecté avant de toucher le corps. (Voir le bardo todol, livre dans lequel sont décrites les étapes de l'après mort). Délais peu compatibles avec les exigences de notre société, et celles du don d'organes par exemple. Les vivants ne jouent-ils pas un rôle dans ce passage de la vie à la mort (ex. Alexandra David Neel, ouverture de la fontanelle provoquée par des chants...) Quel serait l'apport d'une étude scientifique sur ces phénomènes?
La limite entre la vie et la mort est-elle si tranchée? Notre vie est une succession de petites morts -de cellules, des différents âges de la vie..., les limites de la mort sont repoussées: elle est d'abord constatée par le "croque-mort", puis par l'absence de "souffle" dans un miroir, par l'arrêt du coeur, et maintenant par un ancéphalogramme plat. Expériences de personnes comparables à des "morts vivants": certaines maladies, coma, états végétatifs; une force de vie les conduit à aller jusqu'au bout, pour réaliser un but peut-être, revoir quelqu'un... Exemple de Dominique Baudry ("le papillon"), communiquant grâce au mouvement d'une paupière pour écrire un livre. Une personne dans le coma peut avoir des réactions à son entourage, manifestations d'une pensée, d'
une conscience.
D'où la question difficile de l'euthanasie, refus d'être maintenu dans un tel état. Quel est ce souffle de vie qui demeure? Souffrance, agonie, destructrices pour le malade et l'entourage? Distinction entre l'euthanasie et le refus de l'acharnement thérapeutique (maintenir en vie coûte que coûte). L'alternative peut être la notion de soins palliatifs, atténuant la souffrance tout en accompagnant le mourant jusqu'au bout de sa vie -la médecine se devant de soigner et non de supprimer la vie.

A-t-on d'ailleurs le droit de décider de supprimer la vie, que nous avons tous reçue? La nôtre ou la vie des autres? Cette décision n'est-elle pas finalement un acte de désespoir: cette vie là ne vaut plus la peine d'être vécue, à quoi bon? Ou une volonté de "maîtriser"sa mort, comme on veut "maîtriser"sa vie.
La conception que chacun a de la mort: fin de vie ou passage vers une autre forme de vie...influence les décisions prises face à ces questions (sans parler des considerations
économiques, budgétaires, de la mort-business).
Nous sommes tous "condamnés à mort" (Pascal): si nous savions que notre mort est proche, continuerions-nous à vivre de la même façon? Non, répondirent dans la classe, des élèves préparant le bac...Toujours préparer quelque chose, se projeter dans l'avenir? Vivre comme si chaque instant devait être le dernier? Se limiter donc à ce qui est vraiment important?

N'y-a-t-il pas en France un excès de médicalisation de la vie et de la mort? La vie humaine semble "chosifiée" par la médecine, à laquelle est livré notre corps- multiples informations, conseils, précautions...et n'y-a-t-il pas aussi une récupération de la peur existentielle de la mort par les hobbies médicaux? Cette peur ne diminuerait-elle pas si les choses étaient envisagées plus sereinement?
Peur du néant, ou plutôt de l'irréversibilité? De la solitude, car on meurt seul? On ne peut pas penser ni imaginer notre propre mort; s'il y a quelque chose après, il a pu y avoir aussi quelque chose avant notre naissance (impression de déjà vu)... La croyance se transforme en fait social: toutes les sociétés mettent en place quelque chose pour résister à l'angoisse de la mort, mais dans nos sociétés occidentales, la mort apparaît comme une vraie fin, angoissante. Pourtant, notre vie garderait-elle un sens si nous étions immortels? Serait-ce "vivable"? L'immortalité est un des buts du transhumanisme: maîtrise du corps "augmenté", connecté, défiant le temps et l'espace.

La mort relève-t-elle de notre liberté? Notre corps nous appartient-il? Est-ce vraiment une liberté de le détériorer, de le détruire? Au contraire, le suicide apparaît en ce sens comme un non choix, une impossibilité de supporter la vie telle qu'elle devrait être subie.
L'instinct de survie nous fait éviter les dangers et la mort. Mais la mort peut aussi être voulue comme un "bien", être sacralisée. "Notre mort est plus belle que votre vie ", ont déclaré des terroristes, préfèrant mourir que d'accepter la société telle qu'elle s'impose, en dehors même de la notion de "sacrifice". "Accepter" la mort n'est pas nécessairement se la donner, ni la donner aux autres.
Référence à une sorte de cannibalisme, où quelqu'un peut aller vers la mort avec le sourire, pour être mangé... Déraison, folie? Qui sommes-nous pour décider de la vie ou de la mort des autres?
"On ne choisit pas de naître", choisit-on vraiment de mourir? Du moins pouvons-nous choisir le sens que nous donnons à notre vie, et à notre mort.

Café philo du 8 février 2017 :  Origine de l'humanité, création, évolution

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A partir de quand parle-t-on d'humanité? A partir de quand l'homme se différencie-t-il de son environnement, prend-il conscience de soi, acquiert-il le langage symbolique et abstrait, distinct du "langage des animaux"? L'humanité n'est-elle pas liée à l'apparition des premières divinités, mais aussi au "culte" des morts? L'humanité se caractérise-t-elle par l'organisation sociale? Les interactions différaient entre les Neanderthal et l' "homo sapiens"; les échanges génétiques auraient permis la construction du langage, grâce au Neanderthal.

Il y a une organisation sociale chez les animaux, étudiée par exemple par Konrad Lorentz ( notamment le comportement des oies). Mais, selon Jung, l'humain suit de grands modèles, des archétypes ou structures fondamentales qui lui sont propres, et le rendent différent des animaux. L'humanité créé des liens sociaux, est liée au groupe, à l'échange, à l'attachement à autrui, aucun individu n'étant fait pour être totalement seul. "Perdre son humanité"(ex.les grands criminels), c'est perdre les liens avec les autres. Ces liens ne sont pas seulement issus de la nécessité vitale immédiate-satisfaction des besoins- mais aussi de la création et de la transmission aux plus jeunes: utilisation du raisonnement ( fabrication d'outils de plus en plus perfectionnés, passage d'un silex par ex. à un silex très fin...), savoir-faire (guérison des maladies par les plantes...), de savoirs plus théoriques par la suite.

L'apparition du raisonnement, la faculté d'établir un lien entre une cause et un effet (principe de causalité), serait lié à l'évolution du cerveau. Lente évolution (millions d'années) issue de cette transmission, des adaptations biologiques qui se font au fur et à mesure des étapes. Cette évolution se fait-elle "au hasard" des variations individuelles, transmises génétiquement par la sélection naturelle? Ou bien est-elle programmée, avance-t-elle dans un certain sens?
La question se pose actuellement avec les futurs ordinateurs: comment les rendre aussi intelligents, voire plus intelligents, que les humains? Pourtant, accéderont-ils jamais à l'intelligence émotionnelle, différente de l'intelligence cognitive? N'y-a-t-il pas cette frontière entre l'humain et le robot?
Vers quoi l'humanité veut-elle aller et quand s'arrêtera-t-elle? C'est la question que pose le transhumanisme. La technologie devra permettre de dépasser toutes les limites de l'humanité: celle de l'espace, en allant vivre sur la planète Mars, celle de la mort en accédant à l'immortalité grâce au remplacement des organes, à la suppression des maladies, et celles de l'intelligence humaine grâce à l'homme "augmenté" par les connections.
Mais la machine est-elle vraiment le modèle de l'humanité? L'intelligence artificielle se substitura-t-elle à l'intelligence humaine? S' agit-il d'une réalité en train de se concrétiser ou d'un fantasme?

Paradoxalement, tandis que certains réfléchissent à l'intelligence artificielle et vont très loin, d'autres se "lobotomisent" en ne réfléchissant plus, se contentant de manipuler leur ordinateur.
Les hommes se seraient regroupés pour remédier, par la vie sociale, aux limites de leur finitude dont ils ont pris conscience. Mais le transhumanisme, finalement, ne nécessiterait plus le regroupement de la majorité des hommes et inciterait plutôt à l'individualisme.

L'humanité ne fait-elle que gagner en développant le matérialisme et la technologie? Il s'ensuit une plus grande rupture entre l'homme et la nature. La fabrication des outils pallie peut-être un manque d'instinct et de capacités physiques chez les humains, qui accèdent en revanche à la station droite, se libérant ainsi le visage et les mains. Les animaux n'ont pas besoin de pensée consciente ni de raisonnement pour vivre - bien que les singes, par exemple, utilisent une forme de raisonnement pour savoir combien de caisses ils doivent empiler pour attraper une banane située trop haut. Mais un oiseau, par exemple, ne peut pas "réparer" un nid endommagé, mais en
construira un autre, selon son comportement instinctif non réfléchi. Ainsi y-a-t-il divers degrés d'intelligence animale, selon les espèces. L'éléphant a une importante mémoire pour retrouver, par exemple, un endroit très lointain...
Selon le philosophe Alain, l'homme fait partie des animaux et il le sait. Mais c'est justement cette conscience de sa vie, du temps, de la mort qui le distingue des animaux. C'est toute la question de la conscience, comme possibilité de réflexion, de retour sur soi, de questionnement.
C' est ce qui introduit aussi la notion de religion, les rites funéraires, le culte des morts qui existe depuis la préhistoire: comment comprendre, en effet, ce qui vient de quitter ce corps désormais sans vie? Le "souffle" ("spiritus" en latin, "pneuma" en grec) de vie est-il parti ailleurs, en dehors des limites de l'espace et du temps? Que se passe-t-il après la mort physique?

Les hommes admirent la beauté des animaux, la parade nuptiale, par exemple, du paon pour séduire la femelle. Mais c'est le regard humain qui contemple cette beauté et la compare à des oeuvres d'art, ce qui n'est pas le but des animaux. La nature est créatrice de ces oeuvres et, en tant qu' artistes les humains deviennent aussi créateurs d'oeuvres d'art "artificielles" (artifex). L'art est présent dès la préhistoire ( voir l'art pariétal). Seul l' humanité est capable de sortir du réel concret pour accéder à l'abstraction, au symbolisme, à l'imaginaire; seule elle est créatrice d'autres réalités, artistiques, mathématiques etc. D'où l'existence d'une histoire de l' humanité tandis qu'il n'y a pas d'histoire des animaux, qui vivent dans l' immédiateté, sans se soucier du lendemain (même si certains font des provisions ou des réserves, comme les abeilles, les écureuils), toujours de la même manière en dehors de l'évolution biologique. Il s'agit d'un comportement instinctif.

Peut-être ne faut-il pas pourtant introduire une échelle de valeur, établissant une "supériorité" de l'humanité sur l'animalité. Car l' homme ne cherche-t-il pas péniblement une harmonie avec la nature, une paix, que l'animal connaît spontanément, ne se souciant pas justement du lendemain? Certaines espèces animales s'adaptent aux nouvelles formes de société humaine: exemple du loup qui n'a plus peur d'approcher des habitations pour trouver sa nourriture, des macaques du Japon imitant le geste d'un d'entr'eux ayant lavé une patate douce dans la rivière... Les particularités des individus les plus adaptés, les plus résistants, se transmettent ainsi et créent une évolution par sélection naturelle. "Adaptation"et "sélection"( Lamarck et Darwin): ces deux notions ont été maintenant réconciliées. Exemple de l'apparition d'une nouvelle espèce de moustiques dans le métro londonien: elle profite de l'humidité mais aussi de la chaleur du métro, et de la nourriture laissée par le passage des humains. Cette espèce ne peut pas se reproduire avec les moustiques de l'extérieur. Elle est donc bien nouvelle.

D'où vient l'humanité? D'une évolution, d'une mutation issue du milieu naturel? Mais d'où viennent alors ce milieu naturel et ce "principe" moteur d'une évolution? Le hasard? Cette notion a-t-elle réellement un contenu scientifique où n'a-t-elle pas plutôt une signification psychologique humaine ( recevoir "par hasard" une tuile sur la tête, mais si la tuile tombe ailleurs...)? Si le monde naturel est issu du "hasard" et de la "nécessité"( les lois physiques), d'où cette nécessité vient-elle? L' idée organisatrice de l'univers est-elle venue toute seule?
Voltaire: " Il n'y a pas d'horloge sans horloger" c'est-à-dire sans une intelligence qui l'a conçue. De même l'univers a-t-il dû être conçu par un "Être suprême" ou "Raison suprême".
Aucun être humain ne s'est donné à lui-même la vie. D'où vient la vie? Y-a-t-il d'autres formes de vie dans l'univers? Des extra-terrestres? Cette hypothèse, longtemps jugée scientifiquement improbable, est devenue au contraire une probabilité tant apparaîssent la multiplicité et la complexité des galaxies etc.
La théologie envisage depuis des siècles que la création est multiple et que d'autres formes de vie peuvent y avoir été créées par un Dieu créateur infini. Dieu: hors du temps, il n'a ni commencement ni fin (éternité), il est son propre créateur, le Verbe créateur ("Que la lumière soit, et la lumière fût"), l'Acte même de création qui ne cesse de se poursuivre, selon la Bible. Être qui est à lui-même son propre principe selon le Dieu des philosophes, dont on a l'idée dans notre propre pensée
en dehors de toute religion.
Humanité créée par Dieu à son image? La Bible reflet de l'humanité, avec ses répétitions de violence, de guerres, de trahisons (Ancien Testament) ? Et pourtant, selon le récit de la Création (Genèse), Dieu à la fin "vit que cela était bon". La méfiance, la peur, la dissimulation, la souffrance, apparaissent à la suite du "péché originel": tentation de décider tout seul du bien et du mal, de se faire soi-même Dieu, d'être son propre créateur. Orgueil et désobéissance contraires à l'humilité, volonté de domination, d'où viennent les rivalités.

Ainsi la souffrance apparaît-elle comme condition de l'humanité, ce qu'admet aussi le bouddhisme, bien que par une approche différente. Comment se libérer de cette souffrance? Tel est le problème des humains.
"Création" et "évolution" ne sont pas des notions nécessairement incompatibles puisqu'il a pu être créés des êtres qui évoluent. ( L'homme, dans la Bible est créé à partir de la terre, de la poussière). Étant d'ordre totalement différent, science et religion ne sont pas en contradiction; la religion cherche la signification de la vie humaine,  tandis que la science en cherche l'explication. Quelque chose existe qu'on ne voit pas, qu'on ne comprend pas. Quelque chose "nous dépasse", même dans ce qui nous permet de vivre, de donner nous-mêmes la vie, dans notre situation par rapport à l'univers, les exoplanètes etc.. Quelque chose aussi nous contrôle dont nous ne sommes pas totalement conscients du fonctionnement. La physique relativiste nous enseigne que notre temps est relatif à l'espace, au mouvement, à la vitesse...

Nous sommes tous issus des mêmes éléments -"poussières d'étoiles"- et d'un principe qui leur donne vie. L'humanité seule est responsable de ce qu'elle fait de cette vie. Chacun est confronté à la notion de bien et de mal et, selon toutes les religions, devra "payer", rendre compte du mal qu'il aura fait à autrui. En ce sens, il y a une continuité de notre vie, qui ne s'arrête donc pas à la mort physique; l'homme a un corps mais non pas seulement. Transmission, résurrection, réincarnation?   Y-a-t-il un but, une finalité à cette vie? Quoi qu'il en soit, la conscience donne à l'être humain une part de liberté, donc de création dont il est responsable. Quelle humanité chaque homme, et chaque société, veulent-ils créer?

Café philo du 18 janvier 2017 :  Vérité et secret. Ne pas révéler une vérité, est-ce pour asservir les individus ?

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Dissimuler une vérité ne relève-t-il pas plutôt d'une bonne intention? Protéger une personne très malade par exemple, en ne lui enlevant pas l'espoir de guérir ("toute vérité n'est pas bonne à dire")?
Mais n'instaure-t-on pas alors un double jeu, le malade étant certainement au fait de ce qu'il a et de ce qu'il ressent; face au silence des autres, lui même ne parle pas. Cette absence de dialogue est-elle vraiment bénéfique? Cacher la vérité ne paraît pas positif. L'expérience de la maladie, ou de la fin de vie, peut faire changer la façon de considérer les choses: l'exemple est pris d'un militant en faveur de l'euthanasie qui a refusé, finalement, cette pratique pour lui-même.

Qu'en est-il des "secrets de famille"? Volonté de dissimuler une réalité ou plutôt incapacité de la révéler? Plus qu'une volonté de mentir apparaît une sorte de blocage lié à des raisons sociales ou morales. Honte de soi, de l'image qu'on va donner de soi-même, culpabilité de s'être trouvée enceinte par exemple en l'absence d'un mari prisonnier de guerre, honte d'abandonner un enfant  mais aussi souffrance engendrée par ces silences, ces absences, ces incompréhensions. Paradoxalement, on n'ose pas dire ce que, en réalité, presque tout l'entourage sait, car la vérité alors dérange, rompt un ordre établi. La révéler exigerait de nouvelles discussions et prises de conscience, des décisions à prendre peut-être. Mais cette vérité peut éclater de façon imprévue ou par nécessité: consultation d'un livret de famille, par exemple. Les conséquences peuvent en être positives car le non-dit pèse toujours lourdement sur les familles et favorise des mises à l'écart voire des exclusions.
Évocation de phénomènes transgénérationnels comme s'il y avait une transmission, la vérité pouvant ressortir dans les générations suivantes, les jugements sur les actes accomplis étant alors atténués.
Il en est de même pour des actes considérés comme glorieux ou héroïques ("résistance" par exemple), dont les auteurs n'ont jamais parlé, par humilité, mais aussi parce qu'aucun acte n'est dénué d'ambiguïté et de conséquences peut -être aussi négatives. Mais cacher la vérité impose de ressentir les choses sans jamais pouvoir les dire, source de "refoulement" et souvent de malaise.
Paie-t-on dans notre histoire la faute de nos ancêtres? Référence à Anne Ancelin Schutzenberger: "Aîe mes aïeux" et à Bruno Clavier: "les fantômes générationnels" éd.Poche Payot -psychologue et psychanalyste. Restés inconscients, les traumatismes se transmettent et ne se résolvent que lorsqu'on accepte de chercher les causes du mal-être et d'en parler, d'où apaisement et réconciliation.

Même question dans le domaine politique: comment remédier à un dysfonctionnement qui ne se dit pas? Notion de "post-vérité" qui ne repose plus sur des faits objectifs mais sur des émotions, des sentiments. ( cf.la réflexion de l'association "Saint-Lô citoyens"). Les réseaux internet seraient inondés de ces "fausses vérités" qui profitent à tel parti politique par exemple; ingérence de services secrets, diffusions de rumeurs...

La "vérité" pourtant relève d'un jugement qui fait correspondre une affirmation et une réalité. C'est ce jugement qui est "vrai"ou "faux". Stratégie politique, le mensonge engendre une certaine violence, utilisable ensuite pour justifier une façon de gouverner, plus autoritaire par exemple. Ne pas parler d'un événement reste une tromperie, un mensonge par omission. Exemple: le nuage de Tchernobyl se serait arrêté aux frontières de notre pays, puisqu'il était sensé ne pas nous concerner.) N'était-il pas bénéfique en effet de ne pas affoler la population? Mais ne prend-on pas les gens alors pour des imbéciles? Ne s'agit-il pas d'un asservissement par le non-dit?
Mensonge aussi, ou information imparfaite, déformée, dans le monde de l'éducation, sur la véritable valeur des notes, des diplômes (80% d'une tranche d'âge pour le bac par exemple) ou plutôt manque de cohérence? Refus de prendre conscience des " vraies"causes des difficultés?
On le voit dans le cas extrême des dictatures ( comme la Corée du Nord), ne pas dire toute la vérité permet de garder le pouvoir et le contrôle sur les autres. Mais cela est vrai aussi pour les travailleurs en milieu industriel ou dans le domaine du commerce. L'exemple est donné des huîtres triploïdes, modifiées génétiquement, ce que les éleveurs veulent cacher aux consommateurs, les privant ainsi de leur liberté de choix donc les asservissant par omission. Comme dans d'autres domaines, les informations doivent être contrôlées de façon à maîtriser le commerce, au détriment du choix possible des consommateurs.

Selon Nietzsche,  il n'y a pas de vérité mais seulement des "erreurs utiles" profitables à tel type d'individus, en leur permettant de vivre et même de dominer les autres. L'erreur, en effet, ou l'illusion ne serait-elle pas plus utile à la vie que la vérité? N'y -a-t-il pas un besoin de croire ce qui nous rassure, ce qui nous arrange, fût-ce un discours politique?
Est vrai ce qui est efficace, pensent les pragmatistes. C'est dans cette optique que la "réal politique" gère les situations, sans vision à long terme.

Comment cesser alors d'être manipulé? Reste-t-il une possibilité d'accéder à la vérité en dehors de nos intérêts particuliers ou collectifs?
L'agnotologie est une étude nouvelle de l'ignorance ( Robert N.Proctor, historien des sciences, 1992), considérée non plus seulement comme un vide ou une frontière non encore franchie. Car il y a aussi une production culturelle de l'ignorance liée au pouvoir, une ignorance issue d' actions de désinformation, de censure, ou de décrédibilisation de la science par exemple, à des fins politiques, commerciales, financières etc.( exemples: le tabac, l'amiante, le réchauffement climatique, les cellules souches, les perturbateurs endocriniens...). Il s'agit là d'asservissement des individus  à des fins qu'ils ne maîtrisent pas.
Krishnamurti prône de se débarrasser de tout ce qu'on nous a inculqué pour retrouver notre liberté. Retrouver en tout cas notre faculté de discerner le vrai du faux grâce à notre raisonnement, à notre réflexion. Certes la vérité peut-elle "déranger", mais elle dérange plus encore lorsqu'on ne la connaît pas puisque cette ignorance nuit à notre véritable liberté qui est d'agir en connaissance de cause.